mercredi 7 septembre 2022

Charivari à Conchez, Tribunal correctionnel de Pau - 1843

Affaire des jeunes gens de la commune de Conchez :

 

Outrage public à la pudeur. — Outrage public à la religion profanée et tournée en dérision. — Contravention aux actes de défense et de prohibition de l’autorité administrative .— Bruit et tapage nocturnes, troublant la tranquillité publique.

 

Le tribunal correctionnel de Pau était hier dans un de.ses jours de grande solennité. Une foule nombreuse assiégeait de bonne heure les portes de la salle d’audience. Gens de ville gens de la campagne , tous étaient accourus , pressés par une vive curiosité, alléchés aussi par quelqu’attrait de scandaleuses révélations qui ont complètement fait défaut à la malignité publique.

Dix jeunes gens de Conchez étaient traduits par M. le procureur du roi devant le tribunal correctionnel, sous la prévention des délits et contraventions accumulés, dont l’énumération décore le titre de cet article. Hâtons-nous de dire que les débats de l’audience d’hier nous ont paru réduire cette grosse affaire à de si petites proportions, les faits se sont tellement atténués, ont si bien perdu le caractère fâcheux que des préventions passionnées leur avaient imprimé, dés le premier moment, qu’en vérité nous pourrions, sans manquer au respect dû à la prévention publique, rappeler le mot du fabuliste :

 

« Une montagne en mal d’enfant

« Jetait une clameur si haute, etc.,

« Elle accoucha d’une souris..


A l’ouverture de l’audience, on fait l’appel des témoins. Ils sont au nombre d’environ 40, tant à charge qu’à décharge. Ils envahissent l'enceinte du pretoire, connue un flot qui grossit, à chaque appel d’un nom nouveau , qui monte , et qui submerge les bancs des prévenus , les sièges des huissiers, les places des gendarmes. On remarque parmi eux, M. Ferrier, maire de Conchez; M Laplace , curé , et plusieurs femmes et jeunes filles, témoins indispensables de ce genre de causes où il s’agit de bal, de fête et de charivari ; coquetterie et curiosité , les bons recruteurs de témoins parmi les jeunes filles.

Les prévenus sont presque tous des jeunes gens, à l’air dégagé, à la mine éveillée, d’heureuse et d’honnête physionomie par dessus tout ; L’un d’eux expie bien chèrement par un mots de détention préventive quelques heures de joyeux amusemens ; tous les autres comparaissent librement.

Au banc de la défense sont assis MMes Forest, Lahilte, Lamaignère et Salles, avocats.

M. Bambalère, procureur du roi, occupe le siège du ministère public.

 

Voici les faits qui ont donné lieu à la prévention.

Le 5 mars, premier dimanche de carême , les jeunes gens de Conchez dont le mauvais temps avait dérangé les derniers plaisirs de carnaval , songèrent à prendre leur revanche sur carême prenant. Le temps était magnifique, toutes les populations des environs, bien averties, étaient accourues sur la place de Conchez; un bruit de mascarade s’était aussi répandu , et Conchez a quelque renommée ou pays , dans ce genre d'amusement. Le violon, la flûte et le tambourin, harmonieux trio , un peu dépaysés en carême, s’étaient cependant bien vite orientés , et jamais plus joyeux flonflons, plus entraînantes batteries , n’avaient retenti dans le Vicbilh.

On dansa avant les vêpres, on dansa après les vêpres, jusques à la nuit. Dansa-t-on durant les offices, c’est un point qui est resté à l’état d’incertitude complète, et le problème de la queue lumineuse de la comète n’est pas d’une plus difficile solution.

Cependant, vers les quatres heures et demie, la fêle se déplace. Les abris de la halle ne suffisent plus à ses ébats : orchestre , jeunes gens, jeunes filles, tout le concours des assistons , roulent d’un même mouvement et d’une même joie, sur la place de Conchez. Le théâtre s’est agrandi ; des scènes nouvelles se préparent.

Tout à coup, une clameur de rires, d’applaudissemens, de bourras s'élève du sein de la foule joyeuse. Place, rangez-vous, c’est la mascarade qui s’avance Dix à douze jeunes gens, déguisés sous les costumes les plus bariolés débouchent sur la place , en chantant et en dansant. La plupart portent le costume classique de Turc ; une chemise, un cotillon blanc, une ceinture rouge, un mouchoir enroulé sur la tête, voilà tout le plagiat du riche costume oriental. L’un d’eux, soldat récemment arrivé d’Afrique, a voulu se distinguer par une importation toute bédouine : il a couvert ses épaules d’une façon burlesque de burnous blanc, son chef du képi rouge , à calotte blanche vernie, et décoré d’un plumet. Il sonne de temps en temps de la trompette.

Est-ce Abd-el-Kader, est-ce quelque,vénéré marabout, est-ce un de nos intrépides spahis? Qui pourrait se reconnaître dans tout ce vestiaire oriental ?—Qui ? Eh ! mon Dieu, laissez

faire l’esprit inventif et imaginatif de quelques bonnes gens ; ils vous auront bientôt donné tout le signalement et l’explication de cet excentrique déguisement. Ecoutez leur raisonnement , il a été fait à l’audience par quelques témoins : le képi rouge, c’est un bonnet carré de curé ; mais la couleur, mais la visière, mais la plaque, mais le plumet...tout cela importe peu;

le képi rouge, c’est le bonnet carré noir du curé. Le burnous blanc,c’est le surplis; et la trompette qu'il porte à la main, ce ne peut être qu’un goupillon pour asperger la foule d’eau bénite.

Abd-ei Kader , ou le marabout, ou le spahis , ou le Bédouin, c’est à coup sûr M le curé; on lui a même entendu dire «convertissez-vous”.  —Nous verrons bientôt cette singulière explication s’insinuer, se répandre, grandir gronder, tonner, éclater, à la façon de la calomnie de Bazile.

Un autre masque se montrait sous le costume grave et cossu que portaient autrefois les anciens du pays: redingote large et longue à vastes paremens, à colletrabattu ; chapeau à larges bords abritant le visage et les épaules ; gilet jaune serin, d’une coupe indéfinissable, fait pour un plus vaste abdomen, enfin une cravate rouge nuançant sur le touit. Que sera ce personnage qui, par ses gestes ou ses paroles ne semble point devoir trahir un mystérieux incognito ? Ce sera encore un prêtre revêtu de sa soutanelle ; c'est l’explication donnée par les mêmes gens dont l’imagination effarouchée a si exactement reconnu M. le curé de Conchez dans le Bédoin , ou l’Abd-el-Koder que nous avons déjà décrit.

Cependant, tes danses , les rondos avaient recommencé de plus belle. La quête se faisait à la ronde par les jeunes gens qui s’applaudissaient de la recueillir si abondante. Mais voilà que, dans l’ardeur de ses Jeux et de ses courses, un des masques habillé en femme, dans lequel on n’a cherché ni une ressemblance ni une allusion, se jette à terre, on tombe à terre, ou se repose à terre ; puis Abd-él-Kader qui est survenu se précipite sur lui , se démène, roule. Une foule comporte a formé un cercle étroit autour d’eux Que s’est-il passé? Quel est le caractère de cette scène, terre à terre? y a-t il eu un outrage à la pudeur publique , par quelque mouvement désordonné de corps ?

Les avis furent partagés ; les mêmes personnes, sans doute, qui avaient reconnu un curé, dans Ie masque au chako rouge, prirent l’alarme et la répandirent,un grand scandale avait été donné ; elles en aggravaient le caractère par le signalement des personnages qu’elles disaient y avoir été représenté*. Cette scène cependant n’avait point été générale ; le groupe principal des masques n’y avait même point assisté ; il dansait et sautait ailleurs.

La nuit vint et la foule se retira ; c’était une journée bien remplie de fêtes et de réjouissances; l'austère carême qui avait consenti à faire son à-compte à carnaval, devait reprendre le lendemain le cours de ses abstinences et de ses mortifications.

Vers dix heures, cependant, et comme un dernier retentissement de la fête, on prétend avoir entendu sur la place quelque bruit de corne de bœuf, de poêlon, de chaudron, tous instrumens charivariques. A qui le charivari , si c’en était un, pouvait-il être adressé ?— Qui pourrait le dire. Il s’était prudemment tenu au centre même de la place, faisant parvenir, par des rayons égaux , aux oreilles d’alentour, les notes timorées de sa discordante musique. Les mêmes personnes, si zélées à découvrir le costume sacerdotal dans les deux masques

dont nous avons parlé, auraient insinué que le charivari était pour M. le curé. Mais M. le curé lui-même n’en a rien cru ; car comme il l’a dit à l’audience : « Je n’avais aucune » des qualités requises pour être charivarisé » (Textuel ).

Tels sont, eu un récit que nous croyons exact au fond , et sous une forme que le caractère bien apprécié des faits nous a autorisés à rendre badine et familière , les événemens qui marquèrent la journée du 5 mars à Conchez.

Tous les témoins ont été entendus : l'audience a été renvoyée au lendemain, pour entendre le ministère public et les défenseurs des prévenus.

Nous continuerons le compte-rendu de cette affaire. 


Source: L’Observateur des Pyrénées: journal politique, scientifique, littéraire, industriel et.. - 5 avril 1843

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