lundi 16 juillet 2012

Mottes et fortifications de terre

Bref essai de définition (Cahiers du Vic-Bilh N°11- Juillet 1990)

Le monument qu'il est convenu d'appeler motte, motte castrale, ou motte féodale trouve sa place dans un ensemble plus vaste que recouvre le terme générique de "fortification de terre". Encore faut-il préciser que ce terme lui-même est loin de constituer une définition de l'objet qu'il désigne puisqu'il comprend implicitement une série de sites aménagés par excavation ou modelage de socles rocheux: c'est ainsi que M.Fixot a pu parler en Provence d'érection de motte par aménagement d'une assis naturelle "sans apport de terre".
Ces fortifications de terre peuvent être de simples "éminence naturelle" plus ou moins aménagées par l'homme, parfois de vastes dimensions, délimitées par des talus abrupts et des remparts ou des fossés déterminant souvent ce que l'on appelle des "éperons barrés".
A côté de ces éléments qui constituent le degré le plus simple de la fortification prennent place les "enceintes", fortifications protégées par rapport au niveau extérieur. Ces enceintes associées à une motte ou à un autre élément défensif qui les domine peuvent constituer de véritables "basses-cours" ou "bayles". Il est du reste vraisemblable que dans bien des cas elles constituaient la fortification primitive sur laquelle se greffa le château ou la motte qui en est le vestige: l'exemple de la fortification de Mirville illustre parfaitement cette évolution que l'on ne fait que suspecter dans la plupart des cas.
Reste maintenant à définir ce que recouvre généralement le terme "motte" dans le vocabulaire des historiens et archéologues médiévistes: la difficulté provient de ce que le mot recouvre à la fois une définition morphologique et une définition fonctionnelle.
Morphologiquement, une motte est une terre dont la définition géométrique n'est soumise à aucune règle précise en dehors d'un système de proportion hauteur/largeur implicitement défini, qui permet de distinguer une motte d'une simple plate-forme. Une motte peut ainsi être tronconique, prismatique, hémisphérique, ou tout à fait régulière. Ce tertre peut résulter d'un amoncellement de terre rapportée (déblai ou remblai) sur un terrain plat ou en pente, ou bien de l'aménagement d'un mamelon naturel dont les versants ont pu être avivés et le sommet rehaussé. Fonctionnellement, et c'est ce qui distingue la motte d'un "tumulus", ce tertre doit avoir été conçu pour servir d'élément à la défense d'un château, soit qu'il ait protégé la base d'une tour (donjon "emmotté" fréquent en Rhénanie, Pays-Bas, Angleterre, et illustré par l'exemple de Doué La Fontaine, cf p ? ) soit qu'il ait servi d'assis à sa construction, soit qu'il ait renforcé un point faible de l'enceinte ou protégé ou porté une habitation seigneuriale elle peut être dite "motte castrale" et c'est ce terme que les historiens et archéologues privilégient de nos jours par rapport à celui de motte "féodale" qui est trop fortement chargé d'implications sociologiques et historiques.
La motte de la ou des basses-cours n'est pas toujours évidente elle non plus: on considère généralement que l'enceinte contigüe à la motte abritait les dépendances immédiates de la maison seigneuriale et l'enceinte inférieure, lorsqu'elle existe, les maison villageoises. Mais dans les cas les plus simples et les plus fréquents il est fort vraisemblable que ces fonctions aient été mêlées. Dans ces quelques pages je me contenterai de présenter les mottes du Vic-Bilh, ne prenant en compte les autres fortifications, nombreuses et variées que lorsqu'elles sont associées à la motte dans une étroite relation topographique ou fonctionnelle, et en écartant les simples "sites fossoyés" qui sont plus souvent associés à des maison fortes tardives, du reste à peine représentées dans notre région.
Bien évidemment la difficulté que l'on a à attribuer à ces vestiges plus ou moins bien conservés une fonction précise a pour corollaire une imprécision de datation très grande: il est parfois impossible de savoir si un site donné témoigne d'une occupation humaine pré ou protohistorique ou s'il est le signe d'une implantation du bas moyen âge. Dans l'absence de fouilles archéologiques on en est toujours réduit à des hypothèses plus ou moins vraisemblables. L'ambigüité est moindre dans un cas typologiquement très marqué: celui de la motte tronconique à basse-cour adjacente qui semble correspondre dans la quasi totalité des cas à un aménagement médiéval que l'on peut sans grand risque d'erreur situer entre le Xe et le XIIe siècle. Encore faut-il tenir compte du fait que même des sites aussi fermement inscrits dans les limites d'un type incontestablement médiéval peuvent inclure des éléments préexistants, comme à Castillon par exemple, ou avoir été réaménagés ultérieurement comme Monpezat. Nous présentons en conclusion une hypothèse historique qui permet d'assigner à la plupart des mottes du Vic-Bilh une date comprise entre la fin du XIe et la fin du XIIe siècle; c'est à cette proposition générale que se rattachent les hypothèses particulières, pour donner une "date de naissance" à quelques unes des mottes présentées dans les monographies qui suivent puisqu'il est très rares que l'examen du seul monument fournisse un quelconque argument chronologique.
C'est donc avec beaucoup de précautions que doivent être retenues mes propositions de datation et la discussion reste très largement ouverte tant aux historiens qu'aux archéologues de terrain: c'est d'eux sans doute et d'eux seuls que pourra venir la réponse aux questions posées à condition que les fouilles entreprises soient menées avec la rigueur et la patience indispensable à toute recherche scientifique dont l'enquête, menée dans le cadre de l'Inventaire Général, et illustrée ici par ces quelques pages, n'est qu'une étape. (...)

Conchez de Béarn est sans doute l'un des plus remarquables "castelnau" du Béarn associé à une motte, disparue, mais dont témoigne encore le parcellaire du bourg.
L'église, primitive, détruite, données aux environs de l'an mil à l'abbaye de Lucq (1) signalait le centre de la paroisse primitive, le déplacement de l'église dans le castelnau est ici très tardif puisqu'il remonte qu'au XVIIe siècle. Le nouvel édifice est venu se loger naturellement dans un des rares espaces libres d'un bourg qui dès le XIVe siècle était fortement encombré: le flanc nord de la motte qui fut alors partiellement arasée. Il suffit cependant, le cadastre en main de faire le tour du bourg pour lire l'organisation de l'établissement fortifié du XIe ou XIIe siècle: talus et fossés individualisent clairement la motte Nord, de la basse-cour de plan grossièrement rectangulaire, dans laquelle sont établies les "oustaus" dont les murs arrières constituaient peut-être l'essentiel de la fortification.

(1) P. De Marca, Histoire de Béarn T I, p 253 n°6, 362 N°2

 (La suite dans quelques jours, merci de votre compréhension)

Essai de synthèse

L'impasse que constitue à mon avis toute tentative de datation établie à partir d'une typologie sommaire explique, si elle ne le justifie pas, que je ne sacrifie pas ici aux lois du genre qui veulent que toute étude sur une série de mottes soit accompagnée par quelques paragraphes énumérant les vertus respectives des tertres carrés et rectangulaires avec ou sans fossés et talus.Bien entendu ce type de présentation a son intérêt, ne serait-il que de permettre aux chercheurs de trouver rapidement les individus dont le signalement correspond grosso mode à celui qui fait l'objet de leur recherche; pour les amateurs de ce type de nomenclature et pour les "mottologues" consciencieux qui ne veulent négliger aucune technique d'approche aussi grossière soit elle, nous renvoyons sur ce point aux planches de croquis sommaires publiés dans le volume d'inventaire topographique consacré aux Vic-Bilh et au Montanérès par l'Inventaire Général nous contentant de reprendre ici les conclusions que nous avons tirés d'une approche historique du phénomène (36).
Lors de l'étude menée sur les cinq cantons du Nord-Est de Pau par l'Inventaire Général, mon attention a été attirée par un phénomène que seule permet d'appréhender une approche exhaustive et soignée du terrain à l'image de celle qui est mise en oeuvre dans le cadre des "inventaires fondamentaux": l'imbrication intime de séries de données observables sur le terrain et dans les archives touchant à des genres architecturaux aussi éloignés que les églises romanes, les mottes féodales et une certaine catégorie de maisons rurales qui se sont avérées être ce que l'on appelle en Vic-Bilh et dans une partie non négligeable du piémont pyrénéen, des "abbayes laïques".
Pour Pierre de Marca, on donne le nom d'abbés laïques à "ceux qui possèdent la dîme du village, s'ils ne l'ont aliéné, et la présentation de la cure. La maison de laquelle dépendent ces droits est bastie proche de l'église de la paroisse; elle est ordinairement noble et déchargée de tailles, aussi bien que les champs qui sont des anciennes appartenances de l'abbaye"; Marca fait remonter ces privilèges aux temps carolingiens en appuyant son argumentation sur des capitulaires et des ordonnances. Parmi les devoirs de ces abbés laïques figurent le service d'ost et sans doute de cour et plaid, c'est à dire d'assistance au représentant de l'empereur ou du roi, tant dans les opérations militaires locales que dans les manifestations et l'exercice du pouvoir judiciaire.

La délégation des droits régaliens, c'est à dire rattachés originellement à la personne du roi, qu'elle ait ou non été effective, est, on le sait, à l'origine de la féodalité. Le "ban" dévale ainsi en cascade les échelons de la hiérarchie de petits seigneurs de village qui l'exercent en toute légalité; parmi ces droits de type "banal" peuvent trouver place dans le monopole de certains outils de production que sont les fours ou les moulins mais surtout les droits de justice, basse et haute.
Il apparaît en Vic-Bilh, que si des droits de type banal sont reconnus à certains seigneurs, ils ne le sont pas aux abbés laïcs, ou , lorsqu'ils sont détenus par un abbé laïc c'est que celui-ci est en même temps seigneur banal: les deux "titres" sont encore bien clairement séparés, avec leurs prérogatives respectives dans les dénombrements du XVIIe siècle que nous avons examinés.
Il apparaît tout aussi clairement que les droits de patronat sur l'église, et de présentation à la cure associés parfois à la propriété du sol de l'église et toujours au banc et à la sépulture dans l'édifice sont spécifiques aux abbés laïcs.

Cet état de fait est celui qui est observable dans les dénombrements tardifs dont nous pouvions disposer, mais il est sans doute le reflet de dispositions fort anciennes qui remontent à l'époque médiévale; la preuve en est que ces dénombrements au XVIIe siècle être considérée comme un archaïsme auquel on ne prêtait plus qu'une valeur symbolique.
Il est tout à fait intéressant de constater que sur les soixante seigneurie que nous avions retenues sur le territoire correspondant actuellement aux cantons de Lembeye et Garlin, la conjonction motte seigneuriale apparaît vingt-neuf fois, celle motte abbaye laïque, deux fois. Dans neuf cas sur trois termes: motte, seigneur, abbé laïc sont associés. Les exemples de Crouseilles et de Lussagnet montrent qu'il convient d'assimiler la motte à la seigneurie et l'église et le village à l'abbaye laïque, ce qui confirme les indications des dénombrements.
D'une manière générale, il est tout à fait clair que les abbés laïcs ne possédaient pas de mottes, que les seigneurs au contraire jouissaient de leur possession; si l'on ajoute à cela le fait que les abbés laïcs ne possédaient pas les droits de justice que les seigneurs, eux, dénombraient, il convient d'assimiler la possession de la motte à un droit seigneurial de type banal.
Or nous savons que la justice et le droit de fortification étaient en Béarn, les Fors en font preuve, le privilège du seigneur souverain, c'est à dire du vicomte. Comment ne pas en conclure que le droit de fortifier, de construire des mottes, a été octroyé par le vicomte conjointement à des droits de justice, à des personnages de sa cour, et ce, vraisemblablement au détriment dans bien des cas des abbés laïcs, seigneurs de paroisses, beaucoup plus anciennement installés?


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
j'ai moi-même lu le dit-cahier,et je dois dire que l'on reste sur sa faim et, comme vous le relevez, une étude sérieuse n'a pas été rondement menée au Vic-Bilh. Celle de Diusse, sur laquelle repose la magnifique église, m'impressionne particulièrement; ensuite, dans la commune de Taron, j'en ai dénombré au moins trois, et, malgré mes recherches poussées sur d'anciens écrits sur internet, on n'en parle que partiellement. C'est très très frustrant. A ma frêle connaissance, il n'y a pas d'abbaye laïque à Taron, à moins que Maumusson ou Sadiracq en continrent. On nage dans le yoghourt semoulé. Merci et bravo pour vos pages, je vois que vous bien seul à vous débattre dans cette inertie bien locale. (quand on voit les sites landais, comme "landesenvrac", on pourrait penser que ceux-ci soient plus dynamiques).

Ayma a dit…

Merci