mardi 28 octobre 2025

"Conchez"

NOTES SUR LE VILLAGE DE CONQUES-SUR-ORVIEIL (AUDE). 

M. Denis Pébernard vient de publier dans les Mémoires de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne (t. IX, 1899, p. 1-314) une Histoire de Conques-sur-Orvieil et de la manufacture des Saptes près Conques. C'est une monographie complète et soigneusement rédigée d'une petite localité, aujourd'hui chef-lieu de canton de l'Aude, et située dans un site agréable. L'auteur a réuni, avec beaucoup de patience, tous les détails qu'il a pu rencontrer sur ce village depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'époque actuelle. Il étudie tour à tour la topographie, l'histoire naturelle et les origines de Conques, la seigneurie, la communauté et ses droits, les établissements communaux, les usages et coutumes, l'instruction publique avant et après la Révolution, le commerce et l'industrie, l'histoire territoriale, les châteaux, maisons rurales et métairies, les églises et les prieurés, la chronique locale et les événements importants. Il n'y a point lieu d'entrer ici dans une analyse détaillée de l'œuvre consciencieuse, mais toute locale, de M. Pébernard, ni davantage de signaler quelques légères erreurs qu'on y pourrait relever. Mais, dans l'Histoire de Conques-sur-Orvieil , on trouve certains faits dont le rapprochement avec ce que l'on rencontre ailleurs peut présenter de l'utilité. Je vais donc transcrire ici quelques-unes des notes que j'ai prises en lisant le travail de M. Pébernard. Conques-sur-Orvieil a trois homonymes en France : Conques (Aveyron), dont la célèbre abbaye est l'objet des recherches de notre érudit confrère M. l'abbé A. Bouillet; Conques (Haute-Garonne), et Conques (Lot-et-Garonne). A ces homonymes parfaits, M. Pébernard aurait pu ajouter plusieurs localités appelées Conche, La Conche (Basses-Alpes, Drôme, Isère, Loire, Haute-Loire, Haute-Saône, Saône-et-Loire, Haute-Savoie), Conches (Haute-Loire, Seine-et-Marne), Conches-en-Ouche (Eure), Les Conches (Vendée), Conchette (Basses-Alpes), Conchez (Eure, Basses-Pyrénées), La Conchie (Ardèche, Dordogne), etc., dont l'étymologie est la même, ainsi que le prouvent les formes anciennes de leur nom, En effet, dans les textes du moyen âge, Conques-sur-Orvieil, dit aussi Conques En Cabardès, est appelé: Conche , Conca , Concha, villa Concharum, villa et Castrum, de Conchis; quant à Conches-en-Ouche, c'est : Conce, Conchœ, Conchiœ. Parlant de cette dernière localité, dans ses Mémoires et Notes pour servir à l'histoire du département de l'Eure (t. I, p. 522), Auguste Le Prévost dit: « Conche », en vieux français, suivant Bullet, signifie ordre, arrangement. Bien en conche, en bonne conche, veut dire : bien en ordre; mal en conche, en mauvaise conche : mal en ordre, en mauvais ordre. Bullet dérive ce mot du breton. Concha signifie aussi une mesure à blé. « Concada terrœ », pièce de terre qu'on semait avec cette mesure. Enfin, Conka, cette partie d'une rivière dont le circuit ou contour imite une coquille. Ecoutons maintenant Lebeuf: « La vérité est que ce nom, Conchae, n'est pas absolument rare dans ce royaume; il a produit Conches et Conques en français. Outre la ville de Conches, où est l'abbaye en Normandie, il y a Conches, village de Béarn, et, outre Conques, bourg du Rourgue, où est la collégiale substituée à l'abbaye, il y a un Conques, bourg du Haut-Languedoc. Et même le nom de Conches a, dans le Rouergue, son diminutif, qui est Conquestes, comme qui dirait Conchulse. Il paraît, au reste, de tous ces noms que c'est la situation ou la forme des lieux qui les a fait naître, et l'on y voit ordinairement un vallon où l'eau s'amasserait comme dans une conque si elle n'était conduite plus loin. Les premières habitations qui avaient pris le nom ont été transportées et refaites plus haut et sur les coteaux sans quitter leur nom » . (Histoire ecclésiastique du diocèse de Paris , t. XV). On s'est encore demandé si les Conches ne seraient pas des lieux où l'on aurait trouvé beaucoup de coquilles fossiles ». Ainsi que cela lui arrive souvent, Le Prévost énumère les diverses opinions émises sur l'origine du mot Conches, sans donner lui-même de conclusion à cet égard. M. Pébernard ne semble pas avoir connu les travaux de l'abbé Lebeuf ni les nombreux ouvrages publiés depuis quelques années sur la philologie topographique; mais, s'appuyant sur la tradition et sur des constatations personnelles, il a déterminé l'étymologie de Conches, qui vient de trois dépressions de terrain en forme de conques, qui s'appellent : « Las councos de Fontparazols, de la Fenouillette et de Lalande ». De là les armes parlantes du bourg de Conques : De gueules à trois conques d'argent , S et { (1). Le mot patois Counco , ajoute l'auteur, veut dire en effet réservoir, cavité en forme de cuvette. Voilà pourquoi dans beaucoup de localités on a donné le nom de Conques à des tènements dont la forme est la même que celle dont nous venons de parler. D'un autre côté, le mot français conque, du latin concha , est celui donné anciennement à la plupart des coquilles bivalves ou univalves; rien d'extraordinaire par conséquent que l'on ait appliqué cette dénomi¬ nation à un village entouré, tel que le nôtre, de dépressions de terrain semblables aux valves de ces coquilles; les armes du village en seraient un témoignage presque irrécusable. Enfin, dans l’ancienne Grèce, la concha était une mesure de capacité pour les liquides : elle avait la forme conchoïde ou d'une coupe. Pour toutes ces raisons, il nous paraît naturel que nos devanciers aient donné à leur village un nom qui rappelât, sinon sa situation propre, du moins la configuration du terrain qui l'environne ». M. Pébernard a relevé avec soin les noms des lieux-dits du territoire de Conques, et en a donné des étymologies, presque, toutes exactes. Voici les appellations qui me semblent les plus intéressantes : (1) La yille de Conques en Normandie porte : D'or h la bande d'azur chargée de trois coquilles d'argent. Gardie, sommet qui domine un pays. Au moyen âge un fief occupait presque tout le tènement de ce nom. — Foun Aragnou, de forum, fontaine, et ara-gnou pour arajhou,en patois du pays rano ou racho , folle avoine. — Las Sabolos, du latin sabulum, sable. — Moyniero , restes d'une abbaye. — Torto, contrefait, tortueux. Tènement ainsi nommé parce que l'Orvieil y fait des détours sinueux. — Las Madérolos , « pour Madayroles, dit M. Pébernard ; ma, mien ; ayrol, endroit où les champignons croissent tous les ans ». Je crois cette interprétation erronée. La racine tnad est formée du latin madidus, mouillé, trempé, humide, épitèthe qui convient par excellence à un endroit où poussent spontanément les champi¬ gnons. — Pech Estardie , de pech, hauteur, et tardié, tardif. C'est un monticule où, après le jeu du mail, les jeunes gens se réunissaient sur le tard de la journée. — Coumbo Auriolo , de coumbo, vallée profonde, et auriolo ou aouriolo, narcisse. — Plas de las Barthos, de plas, plaine, et bartha , buisson. — Bairaguet ou Baraguet, de baragua, haie vive formant clôture. — Boulidou, trou en forme de cuve d'où jaillit une source. — Vintrou ou Miltrou. M. Péber¬ nard dit : « Du latin miles soldat ». Cela me semble inadmissible. Je crois que cette appellation est formée du mot trou et d'un nom de nombre. — Les Cressés , de cressé, terrain sec affleuré par le roc. — Tendicol, de tendrè , tendre, raidir, et de col , cou. Terrain difficile à travailler. — Prat Auquier , de prat, pré, et auquier, formé sur auca, oie. — La Matto, de matto, touffe d'herbes ou de tiges d'arbres. — Laouzo Couberto, de laouzo, ardoise, et couberto , couvert. Terrain abondant en pierres ayant la forme d'ardoises. — Soulatché, « a plusieurs significations, dit M. Pébernard : nom de lieu, de famille méridionale, sédiment, nom de châtaignes communes dans les Cévennes ». Je pense que ce dernier sens est l'origine du nom. — Les Cardaires, terrain où l'on trouve le laiteron. — Los Arquos, du nom donné encore aux restes des aqueducs romains. -Pech Fourcas , hauteur où étaient dressées les fourcas , fourches patibulaires. — Cazalous, de casai, maison. — Salvatgé , endroit désert et inhabité. Conques n'apparaît dans l'histoire qu'au XIIe siècle, mais on y trouve cependant des traces d'occupation humaine, bien antérieures à cette date. A l'époque celtique appartiennent évidemment certaines excavations qui ont dû servir de refuge à des populations primitives. La présence des Romains est attestée par des restes de substructions et de mosaïques, de nombreux fragments de briques et d'am¬ phores, des cercueils, des monnaies, etc. Les Wisigoths, les Arabes, les Franks ont aussi laissé des traces de leur passage, comme dans toute la région voisine. Mais l'histoire écrite de ce village commence surtout au moment où se termine la lutte entre la féodalité et la royauté. A partir de cette époque, la seigneurie appartient en partage au roi et à l'abbé de Lagrasse. « Comme beaucoup de villes du midi, Conques, dit M. Pébernard, porte la trace de son enceinte murale. Autrefois ce village avait des remparts, des fossés, des portes et un donjon : voilà pourquoi la partie vieille du bourg était appelée le fort de Conques ». Toutes ces constructions ne semblent avoir offert rien de particulier et il n'en existe plus que des restes insignifiants. Il y a lieu cependant de signaler que les fourches patibulaires, appelées « justice » dans cette partie du Languedoc, sont encore en place devant l'église. Ce sont deux piliers de pierre que reliait une traverse de bois et sur l'un desquels on voit, à demi effacés, le mot mort et la date 1608. Source: https://www.persee.fr/issue/bulmo_0007-473x_1899_num_64_1

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