Soult à Guerre (Rabastens, 11 mars). -- « ...L'ennemi se
concentre sur Aire et Barcelonne ; il a poussé une forte avant-garde
jusqu'à Tasque et Pouydraguin : une partie des troupes qu'il avait
envoyées à Mont-deMarsan est revenue à Barcelonne...
« ...La cavalerie ennemie se répand sur tout le département
des Landes et dans partie de celui du Gers : elle est si supérieure
en nombre à celle que je puis employer, que rien ne l'empêche de
faire ces promenades ; mais il est honteux que des communes
très peuplées se soumettent à l'approche de trois ou quatre
cavaliers ennemis. Si les habitants voulaient, déjà l'on aurait
enlevé plus de 1.000 hommes de cavalerie aux ennemis ; les autorités
sont d'une telle faiblesse que, loin de penser à donner de l'énergie
à la population, Chacun s'occupe de ses petits intérêts et de sa
sûreté personnelle ; l'on
a même de la, peine à obtenir des renseignements.
« Un officier et quatre hussards du 2e régiment, qui éclairaient
la marche d'un détachement qui avait été envoyé en reconnaissance
vers Pau, sont entrés hier dans cette ville au moment où la brigade
de cavalerie venait d'en partir et ils ont pris 2 officiers et 22
Portugais...
C'est au moment où le maréchal, en proie à ces graves
difficultés, faisait tous ses efforts et appliquait son énergie,
son activité, ses rares qualités d'organisateur à remettre ses
troupes en état d'agir de nouveau après ces dures épreuves, qu'il
recevait du ministre l'expression du mécontentement de l'Empereur et
la désapprobation des mesures de conservation et de couverture qu'il
avait jugé nécessaire de prendre, faute d'être en situation
d'opérer offensivement.
Ministre à Soult (4 mars). -- « Par mes lettres des 27 et
28 février, j'ai eu l'honneur de vous transmettre les intentions de
l'Empereur sur le système d'opérations que vous deviez adopter et
sur la nécessité de mettre en ce moment, dans vos combinaisons,
toute la vigueur et la décision possibles. L'Empereur me charge de
réitérer à Votre Excellence l'expression de sa volonté à cet
égard. Sa Majesté persiste à penser qu'avec des troupes telles que
celles qui sont sous vos ordres vous devez battre l'ennemi, pour
peu que vous montriez de l'audace et que vous marchiez vous-même à
la tête des troupes. Sa Majesté ajoute que nous sommes dans un
temps où il faut plus de résolution et de vigueur que dans les
temps ordinaires ; qu'en manoeuvrant avec autorité, en donnant
l'exemple, d'être le premier au lieu du péril, vous devez, avec
une armée telle que la vôtre, battre le double des ennemis. Je ne
crains pas d'ajouter moi-même que vous avez, dans le succès de vos
combinaisons passées, l'exemple de celles que l'Empereur demande
aujourd'hui et que toutes les fois que vous avez étonné et
surpris l'ennemi au milieu d'une opération ou sur un point
inattendu, vous avez fait avorter ses projets et détruit ses
plans. »
(Même jour). - «... Un ordre de l'Empereur, en date du 28
courant, vient de prescrire au maréchal Suchet de détacher de son
armée une deuxième colonne de 10.000 hommes et de la diriger en
poste sur Lyon. Après le départ de la première colonne, le
maréchal Suchet se trouvait déjà réduit à n'avoir que 12.900
hommes disponibles : ainsi, après le départ de la seconde, il
n'aura pas même 3.000 hommes à opposer à environ 50.000 ennemis
qui, une fois instruits de son affaiblissement, ne peuvent manquer de
saisir une occasion aussi favorable d'entreprendre, (sic)...
« ...Il est indispensable que
le maréchal Suchet soit autorisé à réunir autour de lui tout
ce que les départements limitrophes (Ariège, Aude,
Pyrénées-Orientales) pourront lui fournir de ressources et
particulièrement les forces locales, dont le général Laffitte
presse la levée et dirige l'organisation... Je vous invite à donner
des ordres analogues au général commandant la 106 division
militaire. Cette disposition me paraît d'autant plus nécessaire
qu'un corps tant soit peu considérable, venant débarquer sur les
derrières de l'armée de Catalogne, le maréchal Suchet se
trouverait non seulement hors d'état de couvrir la frontière
orientale des Pyrénées, mais encore vous auriez vous-même un
nouveau sujet d'inquiétudes pour vos propres opérations. Il me
paraît indispensable que, dans l'intérêt même des opérations que
Votre Excellence dirige, le maréchal Suchet soit toujours assez
fort, sinon pour agir offensivement, du moins pour arrêter et
contenir l'ennemi qu'il a en tête... » (A. G.)
Soult à Guerre (Rabastens, 10 mars). «. Je ne disposerai
d'aucune des troupes, soit de ligne, soit des gardes nationales, qui
se trouvent dans les départements de l'Aude, de l'Ariège et des
Pyrénées-Orientales.
Le maréchal Suchet pourra utiliser ces troupes pour couvrir la
frontière ; je donne des ordres en conséquence au général Travot.
« L'Empereur ne doit pas douter
que je ne sois en personne à la tête des troupes toutes les fois
qu'elles battent et je suis persuadé que Sa Majesté rend justice à
la fermeté de mon caractère et à la vigueur que je mets d'ans mesi
opérations ; mais ma force d'âme serait bientôt affaiblie si je
croyais que Sa Majesté pensât que j'ai besoin d'être excité. Il
serait à désirer que tous les chefs qui ont l'honneur de commander
les troupes de Sa Majesté et que tous les fonctionnaires eussent
autant d'énergie que moi et qu'ils cherchassent, comme je le faisi,
à utiliser tout ce qui peut concourir à la défense du territoire,
à la gloire de nos armées et à l'anéantissement des armées
ennemies.
» Après les nombreux combats que j'ai livrés, j'aurais besoin
de quelques jours de repos pour. faire rentrer 3.000 à 4.000
traînards, rassembler des souliers pour 2.000 à 3.000 hommes, qui
étaient entièrement pieds nus., organiser des subsistances sur ma
nouvelle ligne d'opérations ;. l'ennemi m'oppose 10.000 à 12.000
hommes de cavalerie et je ne puis en mettre plus de 2.000 en ligne.
Du reste, je compte me mettre en mouvement sous très peu de jours. »
(A. G.)
Napoléon, instruit, le 3 mars, des résultats de la bataille
d'Orthez, envoyait encore de nouveaux ordres au ministre (de Fismes,
4 mars) pour blâmer le maréchal et pour l'inviter à prendre
l'offensive :
Napoléon au Ministre (Fismes, 4 mars). -- « ...Je reçois
votre lettre du 3 mars (bataille d'Orthez), où je vois que le duc de
Dalmatie s'est laissé forcer ; faites-moi connaître combien de
troupes il a sous ses ordres ; je ne conçois rien à de pareils
résultats. Réunissez le général Dejean et le duc de Conegliano et
rédigez-lui des instructions pour une marche de Hanc qui couvre
la Garonne et reporte la guerre par Tarbes sur Pau et le long des
Pyrénées. Les Anglais ne s'avanceront pas tant qu'ils pourront être
coupés. Je ne conçois pas comment, avec des troupes comme
celles-là, le duc de Dalmatie peut être battu. Ecrivez-lui
fortement et ferme. C'est déjà une très grande faute que de se
laisser attaquer. Ecrivez à ce maréchal qu'il a montré peu de
la vigueur qu'on doit exiger de lui dans les circonstances actuelles.
»
Guerre à Soult (7 mars). - «. L'Empereur, à qui j'ai
adressé la, lettre que vous m'avez écrite le 27 février, vient de
me témoigner qu'il ne concevait rien à des résultats, tels que
ceux que vous m'avez mandés ; son étonnement est au comble de voir
qu'avec d'excellentes troupes, comme celles qui sont sous vos ordres,
vous ayez pu avoir le dessous. Sa Majesté a trouvé. que c'était
déjà une très grande faute de vous être laissé attaquer. Elle
m'ordonne de vous faire connaître qu'elle attendait de vous plus de
vigueur et que vous n'avez pas déployé toute celle qu'elle a le
droit d'exiger de vous dans les circonstances actuelles ; et, en
effet, à la guerre, la vigueur ne consiste pas seulement à attendre
l'ennemi de pied ferme, mais bien plutôt à le surprendre et à le
prévenir dans toutes ses résolutions.
» L'intention de l'Empereur est que vous donniez de suite une
autre direction à vos opérations en faisant une marche de flanc qui
couvre la Garonne et reporte la guerre par Tarbes sur Pau, de manière
que vous ayez toujours votre gauche appuyée aux Pyrénées. Ce
système d'opérations est celui qui a toujours été reconnu comme
le seul convenable dans la guerre que vous faites ; et cependant les
dernières nouvelles que je reçois de Voire Excellence m'apprennent
qu'elle s'en écarte de plus en plus ou du moins que ses idées ne
sont pas encore bien fixées à cet égard...
». Je n'ai point reçu la dépêche que Votre Excellence
m'annonce m.'avoir écrite le 27 février et qui devait, ce me
semble, contenir des détails de quelque importance. »
Le maréchal répondait le 12, de Vic-de-Bigorre : «. J'ai rendu
compte à Votre Excellence des préparatifs que je faisais pour me
porter en avant, ainsi que des motifs qui m'ont mis dans la nécessité
de donner quelques jours de repos à l'armée. Vous êtes aussi
instruit depuis plusieurs jours, que, par la nouvelle direction que
je prenais, je me rapprochais des montagnes dans l'objet de ramener
le théâtre de la guerre vers les Pyrénées et de me trouver sur le
flanc des ennemis (1). Par ces dispositions j'ai heureusement prévu
les intentions de l'Empereur (lettre du ministre, 7 mars).
». Demain, je réunirai l'armée en avant de Lembeye, d'où je
pousserai dans la même marche jusqu'à Conchez et Viella. Mon projet
est de gagner la grande route qui conduit de Pau à Aire, pour me
porter sur le plateau qui domine cette dernière ville et ensuite
manoeuvrer suivant les circonstances. Ces mouvements donneront lieu à
des combats, l'armée ennemie étant concentrée sur les deux rives
de l'Adour en avant d'Aire et de Barcelonne. »
Wellington, de son côté, s'était résolu à ne pas pousser,
pour le moment, les opérations militaires contre Soult. Les
difficultés matérielles s'étaient opposées à une poursuite
immédiate, alors que l'état de désorganisation des troupes
françaises n'eût entraîné cependant que peu de risques à courir;
mais il voulait être fixé d'abord sur la situation à Bordeaux, but
politique de ses opérations dans le sud. Sa méthode et la prudence
ne lui permettaient pas de se diviser entre deux objectifs. Courir
sus à l'adversaire, déjà en pleine voie de réorganisation et
appuyé sur un pays très propre à la guerre de chicanes, présentait
de graves dangers, si l'on n'avait auparavant tâté le terrain à
Bordeaux, sondé cette direction, déterminé ce qu'on pouvait en
craindre, aussi bien que de celle de la vallée de la Garonne ; car
on avait annoncé la formation d'une armée de réserve de 100.000
hommes autour de Bordeaux et l'organisation d'un corps de 6.000 à
8.000 vétérans, sous les ordres du général Beurmann, à Agen ou à
Périgueux.
La ville de Bordeaux, en effet, était le foyer d'une conspiration
en faveur des Bourbons : le mouvement était appuyé et alimenté par
Wellington. On pouvait espérer de grands avantages de cette
diversion, plus politique que militaire, et de cette division morale,
pour aider à l'action des opérations futures. Au cas même où les
'résultats de cette nature demeureraient médiocres, une
reconnaissance en forces sur Bordeaux pouvait seule mettre à même
de savoir si on n'avait à redouter aucune action dangereuse venant
des vallées de la Garonne et de la Dordogne ou des rassemblements
annoncés vers Périgueux, vers Bordeaux et vers Agen. Cette
détermination faite, cette assurance une fois acquise, l'armée
pourrait se consacrer sans arrière pensée, sans crainte pour ses
derrières et pour ses flancs, à sa tâche active contre les forces
du maréchal Soult.
Wellington décidait d'employer 12.000 hommes à cette
reconnaissance : il gardait le reste de son armée rassemblé,
pendant ce temps, autour d'Aire et de Barcelonne, en face de l'armée
de Soult encore désemparée, et dont on ne redoutait pas les
tentatives d'offensive.
Cependant, on estimait à tort que Suchet venait précisément de
lui envoyer 10.000 hommes de renforts, alors que ces détachements
avaient été dirigés sur Lyon.
Wellington rappelait à lui toutes ses réserves disponibles
d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie, toutes les troupes que le
blocus de Bayonne lui permettait de .prélever. Il venait d'être
rejoint par cinq régiments d'infanterie arrivant du siège de cette
ville, par Saint-Palais. Il avait ordonné au général espagnol
Freyre de rallier l'armée par Port-de-Lanne avec deux divisions.
Il appelait de Navarrenx sur Aire une des brigades de Morillo ; la
cavalerie de Vivian avait, dès le 2 mars, atteint Mont-de-Marsan ;
elle était poussée vers l'est, sur Villeneuve, Perquie et
Lannomaignan. Elle lançait des pattrouilles et des reconnaissances à
Roquefort, Saint-J ustin, Montguilliem, Hontanx, Le Houga et Panjas
(observatoire de la lande du Catalan). Les dragons portugais de
Campbell étaient aus'si envoyés à Roquefort ; la brigade de
cavalerie Fane, avec une brigade d'infanterie, s'était montrée à
Pau (1) le 7 et le 8, poussant ses patrouilles dans les directions de
Tarbes et de Vic-de-Bigorre. Wellington faisait encore réparer
activement les ponts rompus.
Ces dispositions prises, il se hâtait de jeter sur Bordeaux la
forte reconnaissance offensive, politique et militaire, qu'il avait
décidé d'y envoyer avant que Soult eût avis de ce détachement. Le
10 mars, en ellet, le maréchal écrivait de Rabastens, au ministre :
a. Je ne pense pas que les ennemis, après les grandes pertes qu'ils
ont éprouvées, s'exposent à envoyer vers Bordeaux et la basse
Garonne des divisions de leurs troupes, tant que l'armée conservera
son. attitude menaçante. Déjà je suis informé qu'ils ont fait
revenir, sur Aire et Barcelonne, deux divisions qui s'étaient
portées sur Mont-de-Marsan (2). »
Neuf Mois de Campagnes à la suite du Maréchal Soult - Lt Colonel J-B. DUMAS - Paris - Edit Charles-Lavauzelle
Source: Bnf
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