lundi 22 février 2016

1814: Article 3

Or, dès le 8, Wellington avait fait partir, de Mont-de-Marsan pour Bordeaux, Beresford, avec les divisions Cole et Walcker, la brigade de cavalerie Vivian et quelques pièces. Une partie de la brigade de cavalerie Yandeleur, venant de Bayonne, par Dax, les rejoignait en route (12.000 hommes). Il avait ordre d'occuper la ville, et de faire de la Garonne un port pour les alliés, « aux termes de ses instructions militaires ». Il devait, en outre, obliger les fonctionnaires à déclarer s'ils consentaient à continuer l'exercice de leurs fonctions. Enfin, il avait été informé que Bordeaux renfermait de nombreux partisans des Bourbons, qui se proposaient d'arborer le drapeau blanc et de proclamer Louis XVIII sous la protection des alliés. Il ne devait pas se compromettre dans ce mouvement s'il avait lieu, mais l'encourager, promettre que les alliés n'élèveraient aucune opposition aux actes politiques des royalistes tant que la tranquillité serait assurée dans les régions occupées par l'armée; il lui était d'ailleurs recommandé de les aider, de les soutenir et de leur fournir armes et munitions, tirées de Dax, tout en les prévenant que, si la paix venait à être conclue, il me serait plus possible de leur continuer aucun secours militaire.
Beresford avait ordre d'observer la direction d'Agen ; des rassemblements de forces avaient été signalés sur ce point et l'on craignait que Soult ne, parvînt à les pousser vers Bordeaux en appuyant lui-même leur action offensive. On s'attendait d'ailleurs à voir le maréchal effectuer sa retraite par Auch et il s'agissait de pouvoir le suivre rapidement dans cette direction. Beresford laissait en conséquence, le 10, le gros de ses forces à Langon (45 kilom. de Bordeaux), sous le commandement de Dalhousie, et il entrait à Bordeaux, le 12 au matin, aveq 800 cavaliers du 1er régiment de hussards hanovriens (dit 1er german) de la brigade Vivian. Le maire Lynch le recevait à la tête d'une partie de la municipalité et des partisans des Bourbons.
Ce fonctionnaire français et impérial arrachait le drapeau tricolore; il faisait arborer le drapeau blanc et proclamait Louis XVIII; il déclarait que les armées alliées n'avaient d'autre but que de renverser Napoléon et de le remplacer par Louis XVIII.
Le général Lhuillier détruisait le fort Médoc (rive gauche) et se réfugiait, dans la nuit du II, -à fort Pâté et sur la rive droite.
Général Lhunlier à guerre (La Bastide, 12 mars). ?
«. J'ai quitté Bordeaux avec mes troupes cette nuit...Hier, l'empressement d'une portion des habitants à aller au-,devant des Anglais indique suffisamment le désir qu'ils avaient de les recevoir dans leurs murs. Il reste de bons Français à Bordeaux ; mais les étrangers naturalisés, les commerçants, les égoïstes ont dû entraîner l'opinion ; la postérité jugera que, nonobstant l'événement actuel, la masse des Bordelais était française et que sa voix a été étouffée. Il n'est resté à Bordeaux, de nos troupes et de nos administrateurs, que les hommes qui l'ont bien voulu ; tout le monde a été prévenu et les moyens de passage de la rivière n'ont pas manqué. Il est 9 heures du matin et le bruit des caisses et les cris des habitants indiquent l'entrée des Anglais à Bordeaux. Malgré mes ordres réitérés et les dispositions prises sans doute par la marine, les bâtiments, bateaux, etc., que la cupidité de certains individus a fait laisser sur la rive gauche, fourniront assez de moyens de passage aux ennemis sur ce point. Cette circonstance me force à faire passer mes troupes sur la rive droite de la Dordogne. Ce mouvement s'exécutera dans l'après-midi. » (A. G.)
(19 mars). -- « Le 12 mars, un peloton de 40 hussards hanovriens se présenta à 8 heures du matin devant Bordeaux, se porta à la mairie ; de là, il alla aux magasins aux vivres qu'il trouva démunis. A 10 heures, le maire se rendit aux avant-postes ennemis avec quelques personnes du conseil municipal ; il offrit au général Beresford les clefs de la ville au nom de Louis XVIII. Le général répondit les accepter, puisqu'on les lui offrait à ce titre, mais qu'il ne l'avait pas exigé. Le maire accepta de la main du général l'écharpe et la cocarde blanches, aux cris de : Vive Louis XVIII ! Les Anglais répandirent beaucoup de cocardes qui furent ramassées par une foule de gens sans aveu qui recherchaient le désordre pour vivre. Le duc d'Angoulême, arrivé le même jour à 4 heures du soir, fut reçu avec les honneurs, conduit à la cathédrale pour y entendre un Te Deum et porté en triomphe au palais impérial ; .les citoyens qui pensent, dans Bordeaux, et dont le nombre est plus grand qu'on ne croit, gémissent de l'énormité de la faute de leur maire ; .parmi ceux qui ont adopté la cocarde blanche, on n'a reconnu que quelques anglais, d'anciens nobles et beaucoup de gens suspects aux gens de bien. La partie saine des habitants se tient à l'écart. » (A.G.)
(Saint-André-de-Cubzac, 14 mars). – « .Les porteurs d'eau et quelques écervelés ont arboré la cocarde blanche; les bons citoyens étaient mornes; et puisque, dans le moment d'enthousiasme, Bordeaux ne s'est pa,s prononcé, il est à croire que Louis XVIII, dont le représentant est descendu à l'église, où M. l'Archevêque a entonné le Te Deum, ne fera pas longtemps fortune dans une ville dont l'esprit est aussi versatile. M. l'Archevêque avait reçu ordre de partir de M. le sénateur comte Cornudet. »
» On est venu demander au général Beresford, après son entrée, la permission. d'arborer le drapeau blanc; le général n'a point accordé, mais a dit simplement que, si c'était le v?u de Bordeaux, il ne l'empêchait pas. Le drapeau blanc a été arboré de suite sur la tour Saint-Michel ; je l'y ai vu flotter avant mon départ de la Bastide. » (A. G.)
L'inspecteur aux revues Garrau au ministre (vers le 21 mars). -- « ...Pour amadouer le peuple de Bordeaux on a rendu une ordonnance qui redonne aux écus de 3 et de 6 livres leur valeur monétaire et qui réduit à vingt-cinq francs le tonneau le droit d'entrée sur les vins. Ce qui fait le plus d'impression sur les habitants des campagnes, c'est l'abolition des droits réunis. On est parvenu à leur inspirer une telle horreur contre ces impôts qu'il est à -craindre que, dans la circonstance, ils ne se portent à des excès contre les employés.
» Il est évident que le maire de Bordeaux est un traître qui, depuis longtemps, entretenait des intelligences secrètes avec l'ennemi.
» Le cortège du duc d'Angoulême était composé d'un grand nombre d'émigrés du Béarn, des Landes et de la Gironde, à la tête desquels on remarquait M. de La Rochejacquelein. (A. G.)



Du général Lhuillier (Saint-André-de-Cubzac, 15 mars) « Il paraît certain qu'une colonne de 2.500 Portugais est entrée à Bordeaux dans la journée du 14 ; .un jeune homme intelligent a été envoyé dans cette place pour reconnaître la force de l'ennemi...
J'ai écrit au sous-préfet de Blaye et de Bordeaux (Cubzac fait partie de ce dernier arrondissement) pour les inviter à organiser la défense ; celui de Libourne est absent, quoique la troupe y soit encore ; il a suivi le préfet, dont je n'ai pas de nouvelles. Je reçois à l'instant une lettre du préfet de la Gironde, écrite à Saint-Médard le 14 ; je lui écris qu'il voulût bien rentrer au quartier général, ce qui lèverait bien des difficultés et l'invite à donner ordre au sous-préfet de Libourne de rentrer d'ans cette ville, dont les troupes françaises no sont pas sorties. » (A. G.)
Le 19 mars, le général Lhuillier rendait compte au ministre qu'il n'avait pas omis, de faire passer tous les bateaux sur la rive droite, sauf ceux qu'il avait destinés au transport des troupes, s'il devait avoir lieu. Le 10, dans une réunion des autorités, il avait proposé do mettre des postes sur ces bateaux pour les garder ; mais le maire Lynch avait déclaré qu'en agissant ainsi on susciterait une révolte, que les marins déserteraient.
Le général Lhuillier avait été trompé et les habitants avaient aidé à faire venir les bateaux sur la rive gauche pour seconder l'ennemi. On avait cependant évacué et désarmé Fort-Médoc. La garnison de Pointede-Grave avait été envoyée à Blaye ; les pièces étaient enclouées, les travaux en terre détruits, les bâtiments en bois brûlés. Deux pièces de campagne et les poudres avaient été portées à Blaye. Les ouvrages de Fort-Médoc étaient nuls : on n'avait pas eu le temps de les détruire, non plus que de démanteler les batteries de Castillon et de Trompe-Loup.
Une lettre du général Desbarreaux au général Lhuillier, en date du 15 mars, nous renseigne plus complètement sur la situation réelle des défenses. Il venait de passer la revue de la garnison de Blaye ; elle comprenait : 21 officiers, 2.300 hommes, dont 2.000 conscrits appartenant au dépôt du 66e régiment et à sept cadres de régiments différents : ils. n'étaient ni vêtus ni armés. « Ils le seront aujourd'hui ou demain. La citadelle n'est en état que de résister à un coup de main, mais non à une attaque réelle. Elle formait jadis l'ancienne ville de Blaye, ses principales fortifications battent la rivière seulement ; le côté terre est dominé de partout ; les magasins sont bien pourvus en vivres, munitions, etc. La garnison sera formée à 1.200 hommes et le reste évacué sur La Rochelle. Fort-Paté est en état de défense ; sa garnison sera doublée. Les batteries et les forts Médoc, Castillon, Trompe-Loup et Pointe-de-Grave sont détruits, ou vont l'être ; les canons seront encloués, en raison de l'impossibilité de les réintégrer dans la citadelle. Les marins s'étant refusés à marcher, se plaignant de n'être pas payés, on a dû avoir recours à la force armée pour les contraindre. »
Six chaloupes, avec leurs marins et un délai de quatre ou cinq jours étaient encore nécessaires pour détruire les forts et pour évacuer tout ce qu'on pourrait en fait d'armes, de munitions, d'archives, etc., sur La Rochelle. (A. G.)
Soult à Guerre (Conchez, 15 mars, 5 heures du matin). - «... Je ne puis que déplorer de voir que les habitants de tous les départements montrent aussi peu de détermination pour se défendre et que quelques cavaliers ennemis suffisent pour faire soumettre les villes les plus peuplées. Je déplore aussi que les départements de la 208 division militaire et celui de la Gironde soient aussi peu avancés pour l'organisation de la garde nationale et pour les autres mesures de défense prescrites par les décrets de l'Empereur. Je devais supposer que MM. les commissaires extraordinaires de Sa Majesté, qui étaient sur les lieux, s'en seraient au moins occupés ; mais il n'y a absolument rien de fait et ces départements sont en quelque sorte livrés sans défense aux ennemis. La dernière lettre que j'ai reçue du général Lhuillier était du 10 ; l'ennemi n'était encore qu'à Bazas je dois cependant croire qu'il est entré à Bordeaux ; du moins, le bruit en est généralement répandu.
On dit même que les habitants ont arboré la cocarde blanche. 30.000 ennemis auraient dû échouer à Bordeaux si cette population avait eu l'honneur pour guide et le sentiment de ses devoirs. » (A. G.).
(16 mars). -- «. Je ne conçois pas qu'ayant donné l'ordre, le 22 janvier, de faire évacuer sur la rive droite les magasins qui étaient à Bordeaux, l'on prétende avoir manqué d'argent, de temps et de moyens pour compléter cette opération. A quoi servaient donc les autorités qui étaient à Bordeaux. Je n'ai rien reçu du comte Cornudet depuis quinze jours ; il m'a même laissé ignorer son départ de Bordeaux.
Guerre à Soult (21 mars) -- «... Le général Lhuillier a été en tout très mal informé ; les autorités qui l'environnent ont également montré peu de fermeté et ne se sont pas entendues entre elles. L'ennemi était encore à 30 lieues, que chacun s'est pressé de partir, en sorte que tout ce qu'il y avait à Bordeaux de sujets fidèles de Sa Majesté s'est trouvé hors d'état, par cet abandon, d'imposer aux partisans de l'ennemi. Je ne dois pas vous taire non plus que les ordres qui ont été envoyés à Bordeaux par le général Gazan, pour les évacuations, et qui ne contenaient aucun éclaircissement accessoire sur les suites de la bataille d'Orthez et sur votre véritable position, ont contribué à y jeter l'alarme, que l'approche des partis ennemis a fini par accréditer : les mêmes craintes et l'incertitude où l'on était des véritables résultats de l'affaire du 27 février se sont propagées sur la frontière orientale des Pyrénées ; on ne conçoit pas que le général Laffitte ait pu s'imaginer que les Anglais marchaient sur Narbonne et qu'ils y seraient même rendus avant que le maréchal Suchet pût y être arrivé lui-même. » (A. G.)
Cependant, la flotte anglaise qui devait appuyer le mouvement de Beresford n'était pas arrivée ; plusieurs bâtiments de guerre français étaient venus mouiller au-dessous de Blaye. Enfin, Wellington, renseigné maintenant sur la situation à Bordeaux, et préoccupé de la rapide réorganisation des forces de Soult, qui paraissaient à la veille de reprendre l'offensive, rappelait Beresford, le 16, avec la division Cole et la brigade de cavalerie Vivian; il ne laissait sous Bordeaux que Dalhousie à la tête de la division Walcker et de trois escadrons. Aussi bien, le mouvement 'apparent d'opinion, soulevé par l'initiative du maire et la pression du duc d'Angoulême, était déjà contrecarré par le retour des esprits. Dans les Landes, les paysans brûlaient les maisons des partisans, du drapeau blanc.
Quelques volontaires battaient le pays au nord de la Garonne ; à Bordeaux même on n'attendait que l'approche du général Decaen, annoncé à Périgueux, pour mettre à la raison les partisans du roi et de l'étranger.
Le duc d'Angoulême, très inquiet, demandait le maintien à Bordeaux des troupes anglaises, arguant que Wellington l'avait aidé à y prendre le pouvoir et qu'en conséquence* il était engagé, ainsi que son gouvernement, à lui continuer son aide. Wellington, qui était tout prêt à soutenir un mouvement d'opinion unanime et profond, utile à ses intérêts militaires, se refusait à s'engager aucunement à la suite du duc d'Angoulême, dans une aventure politique lancée avec légèreté, sans bases sérieuses, dans le pays. La révolution de Bordeaux, malgré ,E,a gravité, n'avait pas même eu d'écho dans la Vendée, ni d'ailleurs sur aucun point du territoire occupé par les alliés. Elle n'avait déterminé aucun mouvement général d'opinion ; elle restait l'oeuvre isolée et purement locale d'un parti politique représentant d'un régime oublié des populations. Wellington déclarait donc au duc d'Angoulême qu'il désavouait la proclamation hâtive de reconnaissance de Louis XVIII, que le duc pouvait sans doute faire personnellement, mais pour laquelle il n'avait pas le droit de se servir du nom et de l'autorité des gouvernements alliés, sans les avoir consultés, ou de ceux de leur général, qui, déjà consulté plusieurs fois, avait chaque fois émis un avis opposé. Wellington, certes, était décidé à n'intervenir en aucune façon si une ville ou une région se déclaraient en faveur des Bourbons. Il remettrait alors entre les mains du duc d'Angoulême le gouvernement local, ou même total, s'il y avait lieu, du pays occupé par les alliés, si ce pays se déclarait en entier en faveur des Bourbons. Mais, à Bordeaux simplement, le mouvement était bien loin d'être unanime; il ne pouvait, en conséquence, être question de compromettre l'administration des régions occupées et, par suite, les intérêts mêmes des armées alliées, dans le seul but d'aider un prétendant royal.
Il faisait donc connaître au duc d'Angoulême : « qu'il avait occupé Bordeaux comme point militaire et qu'il était résolu à ne pas même risquer une compagnie d'infanterie pour un autre intérêt que celui de la cause des alliés. Ce n'était pas en aidant les armées alliées que certaines personnes avaient compromis leurs personnes et leurs propriétés, mais bien par le fait de leur déclaration politique prématurée, qu'il désavouait. ». Il était contraire aux intérêts de l'armée de soutenir un simple parti d'opposition, peu suivi, qui troublait l'exercice des administrations locales, nécessaires à la vie et à l'entretien des armées alliées.
Le général Dalhousie, laissé sous Bordeaux par Beresford, recevait donc l'ordre de tenir ses troupes rassemblées et loin de la ville.
En face de lui, au commencement d'avril, le général Decaen arrivait à Libourne pour organiser « l'armée de la Garonne » ou « corps d'armée de la Dordogne ». Le général Despeaux, avec un corps de gendarmes, de douaniers et de gardes nationaux, battait la vallée de la Garonne entre Agen et La Réole.
Le général Lhuillier, qui disposait d'un millier d'hommes à Saint-André-de-Cubzac, allait être rejoint (Il avril) par quelques batteries envoyées de. Narbonne, de Paris même et par 300 ou 400 chevaux venant de La Rochelle. Enfin, 6.000 vétérans, dirigés par Suchet sur l'armée de Lyon, avaient reçu ordre de quitter cette route pour se rendre à Libourne, sous le commandement du général Beurmann (fin mars).

Neuf Mois de Campagnes à la suite du Maréchal Soult - Lt Colonel J-B. DUMAS - Paris - Edit Charles-Lavauzelle
Source: Bnf 

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