Or, dès le 8, Wellington avait fait partir, de Mont-de-Marsan
pour Bordeaux, Beresford, avec les divisions Cole et Walcker, la
brigade de cavalerie Vivian et quelques pièces. Une partie de la
brigade de cavalerie Yandeleur, venant de Bayonne, par Dax, les
rejoignait en route (12.000 hommes). Il avait ordre d'occuper la
ville, et de faire de la Garonne un port pour les alliés, « aux
termes de ses instructions militaires ». Il devait, en outre,
obliger les fonctionnaires à déclarer s'ils consentaient à
continuer l'exercice de leurs fonctions. Enfin, il avait été
informé que Bordeaux renfermait de nombreux partisans des Bourbons,
qui se proposaient d'arborer le drapeau blanc et de proclamer Louis
XVIII sous la protection des alliés. Il ne devait pas se
compromettre dans ce mouvement s'il avait lieu, mais l'encourager,
promettre que les alliés n'élèveraient aucune opposition aux actes
politiques des royalistes tant que la tranquillité serait assurée
dans les régions occupées par l'armée; il lui était d'ailleurs
recommandé de les aider, de les soutenir et de leur fournir armes et
munitions, tirées de Dax, tout en les prévenant que, si la paix
venait à être conclue, il me serait plus
possible de leur continuer aucun secours militaire.
Beresford avait ordre d'observer la direction d'Agen ; des
rassemblements de forces avaient été signalés sur ce point et l'on
craignait que Soult ne, parvînt à les pousser vers Bordeaux en
appuyant lui-même leur action offensive. On s'attendait d'ailleurs à
voir le maréchal effectuer sa retraite par Auch et il s'agissait de
pouvoir le suivre rapidement dans cette direction. Beresford laissait
en conséquence, le 10, le gros de ses forces à Langon (45 kilom. de
Bordeaux), sous le commandement de Dalhousie, et il entrait à
Bordeaux, le 12 au matin, aveq 800 cavaliers du 1er régiment de
hussards hanovriens (dit 1er german) de la brigade Vivian. Le maire
Lynch le recevait à la tête d'une partie de la municipalité et des
partisans des Bourbons.
Ce fonctionnaire français et impérial arrachait le drapeau
tricolore; il faisait arborer le drapeau blanc et proclamait Louis
XVIII; il déclarait que les armées alliées n'avaient d'autre but
que de renverser Napoléon et de le remplacer par Louis XVIII.
Le général Lhuillier détruisait le fort Médoc (rive gauche) et
se réfugiait, dans la nuit du II, -à fort Pâté et sur la rive
droite.
Général Lhunlier à guerre (La Bastide, 12 mars). ?
«. J'ai quitté Bordeaux avec mes troupes cette nuit...Hier,
l'empressement d'une portion des habitants à aller au-,devant des
Anglais indique suffisamment le désir qu'ils avaient de les recevoir
dans leurs murs. Il reste de bons Français à Bordeaux ; mais les
étrangers naturalisés, les commerçants, les égoïstes ont dû
entraîner l'opinion ; la postérité jugera que, nonobstant
l'événement actuel, la masse des Bordelais était française et que
sa voix a été étouffée. Il n'est resté à Bordeaux, de nos
troupes et de nos administrateurs, que les hommes qui l'ont bien
voulu ; tout le monde a été prévenu et les moyens de passage
de la rivière n'ont pas manqué. Il est 9 heures du matin et le
bruit des caisses et les cris des habitants indiquent l'entrée des
Anglais à Bordeaux. Malgré mes ordres réitérés et les
dispositions prises sans doute par la marine, les bâtiments,
bateaux, etc., que la cupidité de certains individus a fait laisser
sur la rive gauche, fourniront assez de moyens de passage aux ennemis
sur ce point. Cette circonstance me force à faire passer mes troupes
sur la rive droite de la Dordogne. Ce mouvement s'exécutera dans
l'après-midi. » (A. G.)
(19 mars). -- « Le 12 mars, un peloton de 40 hussards hanovriens
se présenta à 8 heures du matin devant Bordeaux, se porta à la
mairie ; de là, il alla aux magasins aux vivres qu'il trouva
démunis. A 10 heures, le maire se rendit aux avant-postes ennemis
avec quelques personnes du conseil municipal ; il offrit au général
Beresford les clefs de la ville au nom de Louis XVIII. Le général
répondit les accepter, puisqu'on les lui offrait à
ce titre, mais qu'il ne l'avait pas exigé. Le maire accepta de
la main du général l'écharpe et la cocarde blanches, aux
cris de : Vive Louis XVIII ! Les Anglais répandirent beaucoup de
cocardes qui furent ramassées par une foule de gens sans aveu qui
recherchaient le désordre pour vivre. Le duc d'Angoulême, arrivé
le même jour à 4 heures du soir, fut reçu avec les honneurs,
conduit à la cathédrale pour y entendre un Te Deum et porté
en triomphe au palais impérial ; .les citoyens qui pensent, dans
Bordeaux, et dont le nombre est plus grand qu'on ne croit, gémissent
de l'énormité de la faute de leur maire ; .parmi ceux qui ont
adopté la cocarde blanche, on n'a reconnu que quelques anglais,
d'anciens nobles et beaucoup de gens suspects aux gens de bien. La
partie saine des habitants se tient à l'écart. » (A.G.)
(Saint-André-de-Cubzac, 14 mars). – « .Les porteurs d'eau et
quelques écervelés ont arboré la cocarde blanche; les bons
citoyens étaient mornes; et puisque, dans le moment d'enthousiasme,
Bordeaux ne s'est pa,s prononcé, il est à croire que Louis XVIII,
dont le représentant est descendu à l'église, où M. l'Archevêque
a entonné le Te Deum, ne fera pas longtemps fortune dans une ville
dont l'esprit est aussi versatile. M. l'Archevêque avait reçu ordre
de partir de M. le sénateur comte Cornudet. »
» On est venu demander au général Beresford, après son entrée,
la permission. d'arborer le drapeau blanc; le général n'a point
accordé, mais a dit simplement que, si c'était le v?u de Bordeaux,
il ne l'empêchait pas. Le drapeau blanc a été arboré de suite sur
la tour Saint-Michel ; je l'y ai vu flotter avant mon départ de la
Bastide. » (A. G.)
L'inspecteur aux revues
Garrau au ministre (vers le 21 mars). -- « ...Pour amadouer le
peuple de Bordeaux on a rendu une ordonnance qui redonne aux écus de
3 et de 6 livres leur valeur monétaire et qui réduit à vingt-cinq
francs le tonneau le droit d'entrée sur les vins. Ce qui fait le
plus d'impression sur les habitants des campagnes, c'est
l'abolition des droits réunis. On est parvenu à leur
inspirer une telle horreur contre ces impôts qu'il est à -craindre
que, dans la circonstance, ils ne se portent à des excès contre les
employés.
» Il est évident que le maire de Bordeaux est un traître qui,
depuis longtemps, entretenait des intelligences secrètes avec
l'ennemi.
» Le cortège du duc d'Angoulême était composé d'un grand
nombre d'émigrés du Béarn, des Landes et de la Gironde, à la tête
desquels on remarquait M. de La Rochejacquelein. (A. G.)
Du général Lhuillier (Saint-André-de-Cubzac, 15 mars) «
Il paraît certain qu'une colonne de 2.500 Portugais est entrée à
Bordeaux dans la journée du 14 ; .un jeune homme intelligent a été
envoyé dans cette place pour reconnaître la force de l'ennemi...
J'ai écrit au sous-préfet de Blaye et de Bordeaux (Cubzac fait
partie de ce dernier arrondissement) pour les inviter à organiser la
défense ; celui de Libourne est absent, quoique la troupe y soit
encore ; il a suivi le préfet, dont je n'ai pas de nouvelles. Je
reçois à l'instant une lettre du préfet de la Gironde, écrite à
Saint-Médard le 14 ; je lui écris qu'il voulût bien rentrer au
quartier général, ce qui lèverait bien des difficultés et
l'invite à donner ordre au sous-préfet de Libourne de rentrer d'ans
cette ville, dont les troupes françaises no sont pas sorties. » (A.
G.)
Le 19 mars, le général Lhuillier rendait compte au ministre
qu'il n'avait pas omis, de faire passer tous les bateaux sur la rive
droite, sauf ceux qu'il avait destinés au transport des troupes,
s'il devait avoir lieu. Le 10, dans une réunion des autorités, il
avait proposé do mettre des postes sur ces bateaux pour les garder ;
mais le maire Lynch avait déclaré qu'en agissant ainsi on
susciterait une révolte, que les marins déserteraient.
Le général Lhuillier avait été trompé et les habitants
avaient aidé à faire venir les bateaux sur la rive gauche pour
seconder l'ennemi. On avait cependant évacué et désarmé
Fort-Médoc. La garnison de Pointede-Grave avait été envoyée à
Blaye ; les pièces étaient enclouées, les travaux en terre
détruits, les bâtiments en bois brûlés. Deux pièces de campagne
et les poudres avaient été portées à Blaye. Les ouvrages de
Fort-Médoc étaient nuls : on n'avait pas eu le temps de les
détruire, non plus que de démanteler les batteries de Castillon et
de Trompe-Loup.
Une lettre du général Desbarreaux au général Lhuillier, en
date du 15 mars, nous renseigne plus complètement sur la situation
réelle des défenses. Il venait de passer la revue de la garnison de
Blaye ; elle comprenait : 21 officiers, 2.300 hommes, dont 2.000
conscrits appartenant au dépôt du 66e régiment et à sept cadres
de régiments différents : ils. n'étaient ni
vêtus ni armés. « Ils le
seront aujourd'hui ou demain. La citadelle n'est en état que de
résister à un coup de main, mais non à une attaque réelle. Elle
formait jadis l'ancienne ville de Blaye, ses principales
fortifications battent la rivière seulement ; le côté terre est
dominé de partout ; les magasins sont bien pourvus en vivres,
munitions, etc. La garnison sera formée à 1.200 hommes et le reste
évacué sur La Rochelle. Fort-Paté est en état de défense ; sa
garnison sera doublée. Les batteries et les forts Médoc, Castillon,
Trompe-Loup et Pointe-de-Grave sont détruits, ou vont l'être ; les
canons seront encloués, en raison de l'impossibilité de les
réintégrer dans la citadelle. Les marins s'étant refusés à
marcher, se plaignant de n'être pas payés, on a dû avoir recours à
la force armée pour les contraindre. »
Six chaloupes, avec leurs marins et un délai de quatre ou cinq
jours étaient encore nécessaires pour détruire les forts et pour
évacuer tout ce qu'on pourrait en fait d'armes, de munitions,
d'archives, etc., sur La Rochelle. (A. G.)
Soult à Guerre (Conchez, 15 mars, 5 heures du matin). -
«... Je ne puis que déplorer de voir que les habitants de tous les
départements montrent aussi peu de détermination pour se défendre
et que quelques cavaliers ennemis suffisent pour faire soumettre les
villes les plus peuplées. Je déplore aussi que les départements de
la 208 division militaire et celui de la Gironde soient aussi peu
avancés pour l'organisation de la garde nationale et pour les autres
mesures de défense prescrites par les décrets de l'Empereur. Je
devais supposer que MM. les commissaires extraordinaires de Sa
Majesté, qui étaient sur les lieux, s'en seraient au moins occupés
; mais il n'y a absolument rien de fait et ces départements
sont en quelque sorte livrés sans défense aux ennemis. La dernière
lettre que j'ai reçue du général Lhuillier était du 10 ;
l'ennemi n'était encore qu'à Bazas je dois cependant croire qu'il
est entré à Bordeaux ; du moins, le bruit en est généralement
répandu.
On dit même que les habitants ont arboré la cocarde blanche.
30.000 ennemis auraient dû échouer à Bordeaux si cette population
avait eu l'honneur pour guide et le sentiment de ses devoirs. » (A.
G.).
(16 mars). -- «. Je ne conçois pas qu'ayant donné l'ordre, le
22 janvier, de faire évacuer sur la rive droite les magasins qui
étaient à Bordeaux, l'on prétende avoir manqué d'argent, de temps
et de moyens pour compléter cette opération. A quoi servaient donc
les autorités qui étaient à Bordeaux. Je n'ai rien reçu du comte
Cornudet depuis quinze jours ; il m'a même laissé ignorer son
départ de Bordeaux.
Guerre à Soult (21 mars) -- «... Le général Lhuillier a été
en tout très mal informé ; les autorités qui l'environnent ont
également montré peu de fermeté et ne se sont pas entendues entre
elles. L'ennemi était encore à 30 lieues, que chacun s'est pressé
de partir, en sorte que tout ce qu'il y avait à Bordeaux de sujets
fidèles de Sa Majesté s'est trouvé hors d'état, par cet abandon,
d'imposer aux partisans de l'ennemi. Je ne dois pas vous taire non
plus que les ordres qui ont été envoyés à Bordeaux par le général
Gazan, pour les évacuations, et qui ne contenaient aucun
éclaircissement accessoire sur les suites de la bataille d'Orthez
et sur votre véritable position, ont contribué à y jeter l'alarme,
que l'approche des partis ennemis a fini par accréditer : les mêmes
craintes et l'incertitude où l'on était des véritables résultats
de l'affaire du 27 février se sont propagées sur la frontière
orientale des Pyrénées ; on ne conçoit pas que le général
Laffitte ait pu s'imaginer que les Anglais marchaient sur Narbonne et
qu'ils y seraient même rendus avant que le maréchal Suchet pût y
être arrivé lui-même. » (A. G.)
Cependant, la flotte anglaise qui devait appuyer le mouvement de
Beresford n'était pas arrivée ; plusieurs bâtiments de guerre
français étaient venus mouiller au-dessous de Blaye. Enfin,
Wellington, renseigné maintenant sur la situation à Bordeaux, et
préoccupé de la rapide réorganisation des forces de Soult, qui
paraissaient à la veille de reprendre l'offensive, rappelait
Beresford, le 16, avec la division Cole et la brigade de cavalerie
Vivian; il ne laissait sous Bordeaux que Dalhousie à la tête de la
division Walcker et de trois escadrons. Aussi bien, le mouvement
'apparent d'opinion, soulevé par l'initiative du maire et la
pression du duc d'Angoulême, était déjà contrecarré par le
retour des esprits. Dans les Landes, les paysans brûlaient les
maisons des partisans, du drapeau blanc.
Quelques volontaires battaient le pays au nord de la Garonne ; à
Bordeaux même on n'attendait que l'approche du général Decaen,
annoncé à Périgueux, pour mettre à la raison les partisans du roi
et de l'étranger.
Le duc d'Angoulême, très inquiet, demandait le maintien à
Bordeaux des troupes anglaises, arguant que Wellington l'avait aidé
à y prendre le pouvoir et qu'en conséquence* il était engagé,
ainsi que son gouvernement, à lui continuer son aide. Wellington,
qui était tout prêt à soutenir un mouvement d'opinion unanime et
profond, utile à ses intérêts militaires, se refusait à s'engager
aucunement à la suite du duc d'Angoulême, dans une aventure
politique lancée avec légèreté, sans bases sérieuses, dans le
pays. La révolution de Bordeaux, malgré ,E,a
gravité, n'avait pas même eu d'écho dans la Vendée, ni d'ailleurs
sur aucun point du territoire occupé par les alliés. Elle n'avait
déterminé aucun mouvement général d'opinion ; elle restait
l'oeuvre isolée et purement locale d'un parti politique représentant
d'un régime oublié des populations. Wellington déclarait donc au
duc d'Angoulême qu'il désavouait la proclamation hâtive de
reconnaissance de Louis XVIII, que le duc pouvait sans doute faire
personnellement, mais pour laquelle il n'avait pas le droit de se
servir du nom et de l'autorité des gouvernements alliés, sans les
avoir consultés, ou de ceux de leur général, qui, déjà consulté
plusieurs fois, avait chaque fois émis un avis opposé. Wellington,
certes, était décidé à n'intervenir en aucune façon si une ville
ou une région se déclaraient en faveur des Bourbons. Il remettrait
alors entre les mains du duc d'Angoulême le gouvernement local, ou
même total, s'il y avait lieu, du pays occupé par les alliés, si
ce pays se déclarait en entier en faveur des Bourbons. Mais, à
Bordeaux simplement, le mouvement était bien loin d'être unanime;
il ne pouvait, en conséquence, être question de compromettre
l'administration des régions occupées et, par suite, les intérêts
mêmes des armées alliées, dans le seul but d'aider un prétendant
royal.
Il faisait donc connaître au duc d'Angoulême : « qu'il avait
occupé Bordeaux comme point militaire et qu'il était résolu à ne
pas même risquer une compagnie d'infanterie pour un autre intérêt
que celui de la cause des alliés. Ce n'était pas en aidant les
armées alliées que certaines personnes avaient compromis leurs
personnes et leurs propriétés, mais bien par le fait de leur
déclaration politique prématurée, qu'il désavouait. ». Il était
contraire aux intérêts de l'armée de soutenir un simple parti
d'opposition, peu suivi, qui troublait l'exercice des administrations
locales, nécessaires à la vie et à l'entretien des armées
alliées.
Le général Dalhousie, laissé sous Bordeaux par Beresford,
recevait donc l'ordre de tenir ses troupes rassemblées et loin de la
ville.
En face de lui, au commencement d'avril, le général Decaen
arrivait à Libourne pour organiser « l'armée de la Garonne
» ou « corps d'armée de la Dordogne ». Le général Despeaux,
avec un corps de gendarmes, de douaniers et de gardes nationaux,
battait la vallée de la Garonne entre Agen et La Réole.
Le général Lhuillier, qui disposait d'un millier d'hommes à
Saint-André-de-Cubzac, allait être rejoint (Il avril) par quelques
batteries envoyées de. Narbonne, de Paris même et par 300 ou 400
chevaux venant de La Rochelle. Enfin, 6.000 vétérans, dirigés par
Suchet sur l'armée de Lyon, avaient reçu ordre de quitter cette
route pour se rendre à Libourne, sous le commandement du général
Beurmann (fin mars).
Neuf Mois de Campagnes à la suite du Maréchal Soult - Lt Colonel J-B. DUMAS - Paris - Edit Charles-Lavauzelle
Source: Bnf
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