Le 12 mars, l'armée anglaise était réunie aux environs d'Aire
et de Barcelonne. Ses détachements de couverture et sa cavalerie
occupaient Garlin sur la route de Pau, Viella sur la route de
Maubourguet, et le ruisseau du Saget (4 kilomètres de Viella),
Riscle sur la route de Tarbes, et Pouydraguin (route de Marciac et
Miélan et route de Vic-Fezensac sur Auch), formant un demi-cercle de
30 à 35 kilomètres de développement, à 15 et 25 kilomètres
environ de son rassemblement.
Freyre allait arriver le 13 avec 8.000 hommes d'infanterie
espagnole; le 14, Ponsonby rejoignait venant du siège de Bayonne,
avec la grosse cavalerie. Les troupes de Beresford allaient quitter
Langon, le 16, pour rallier l'armée en quatre jours de marches
forcées.
Le 12, également, les troupes de d'Erlon étaient échelonnées
de Ladevèze à Auriébat et Sauveterre, à cheval sur la route de
Maubourguet à Marciac et couvrant les routes de Rabastens, de
Villecomtal, de Marciac à Miélan ; ses postes étaient en avant de
Plaisance, à hauteur de Tasque ; il faisait éclairer les directions
de Barcelonne, de Nogaro, de Vic-Fezensac et de Mirande.
Reille tenait ses divisions autour de Maubourguet et de Lafitolé
avec une avant-garde de cavalerie (brigade Berton) à Madiran; elle
éclairait jusqu'au Saget, près de Viella, et à
Castelnau-Rivière-Basse.
Clausel était à Vic-de-Bigorre et à Rabastens. Sa cavalerie
(Pierre Soult) occupait Lembeye et elle éclairait les directions
d'Aire par Conchez et par Garlin et celle de Pau par Morlàas.
Le maréchal couvrait Tarbes et Toulouse, et il pouvait se porter
sur Auch, sur Pau, ou revenir sur Aire. Mais il venait d'avoir
connaissance du détachement de Beresford sur Bordeaux et il se
décidait à profiter de cette division des forces alliées pour
reprendre l'offensive, comme l'Empereur le lui avait ordonné, ou
tout au moins à marquer un mouvement en avant.
« De Lourdes jusqu'au Roussillon », écrivait en 1719 le
maréchal de Berwick au régent, « nous n'avons pas de place et
toutes les rivières ne peuvent être d'usage, attendu qu'elles sont
toutes en long », c'est-à-dire perpendiculaires à la direction
des lignes de défense, telles qu'il les concevait.
«
On reçoit la loi des localités » (Napoléon), et la manoeuvre,
bien loin de faire abstraction du terrain, doit s'en servir comme
d'une arme à son usage. Le maréchal Soult modifiait donc son
système de manoeuvre pour le mettre en harmonie avec les
dispositions locales de cette nouvelle zone.
Nous le voyons opérer, dans cette région, en échelonnant ses
troupes, face au nord et au nord-ouest, sur les longs plateaux
mouvementés qui séparent les cours d'eau auxquels il appuie ses
flancs à droite et à gauche. Il déboîte ainsi ses échelons, en
les avançant dans la direction de l'adversaire, (soutenus en arrière
et de proche en proche par des échelons débordants disposés pour
l'appui, le recueil ou le repli. Son dispositif lui permet, avec une
égale facilité, de faire face soit en avant, soit vers sa gauche ou
vers sa droite. Il peut le pousser sans risques, aussi loin qu'il est
nécessaire vers l'ennemi, et il conserve la faculté de le dérober
et de le soustraire à celui-ci, grâce au jeu des échelons et à
leur appui réciproque, fondée sur une bonne utilisation du terrain.
« Demain », écrivait, le 12 mars, de Vic-de-Bigorre, le
maréchal au ministre de la guerre, »
je réunirai l'armée en avant de Lembeye, d'où je pousserai dans la
même marche jusqu'à Couchez et Viella.
» Mon projet est de gagner la grande route, qui conduit de Pau à
Aire, pour me porter sur le plateau qui domine cette dernière ville,
et ensuite manoeuvrer suivant les circonstances... »
Soult à Reille
(Vic-de-Bigorre, 12 mars; papiers Reille). - « ...J'ai
reçu les rapports que vous m'avez adressés à minuit; le général
Gazan vous a prévenu de tenir vos troupes prêtes à marcher. Dans
le jour, vous recevrez l'ordre de vous porter demain, avec vos deux
divisions, sur Lembeye, où l'armée se réunira; et, dans la même
marche, nous pousserons, s'il y a possibilité, jusqu'à Couchez et
Viella. Le lieutenant-général d'Erlon suivra votre mouvement.
Ainsi, pendant le jour, vous ferez rapprocher les troupes et
l'artillerie, qui sont à Lafitolé, et vous pourrez pousser quelques
bataillons dans la direction de Lembeye, afin de vous dégager à
Maubourguet, sans cependant annoncer une marche en avant. Je désire
que l'ennemi ne soupçonne pas notre mouvement. Le général Berton
doit faire en sorte de se maintenir dans les postes qu'il occupe ; à
cet effet, vous pourrez mettre à sa disposition deux compagnies de
voltigeurs. Demain, le général Berton devra se porter sur Viella
avec son avant-garde. Faites prendre des vivres, afin que les troupes
soient en avance pour quatre jours et que le train d'artillerie ait
du fourrage ficelé.
» P.-S. -- Le lieutenant-général Clausel fera établir
aujourd'hui la division Villatte sur le plateau de Labatut » (8
kilomètres est-sud-est de Lembeye).
L'ordre de mouvement pour l'armée (papiers Reille)
(Vic-de-Bigorre, 12 mars) prescrivait les dispositions suivantes :
« L'armée se portera demain en
avant et se dirigera sur Lembeye et Conchez, où de nouveaux ordres
seront donnés... »
Le général P. Soult fera partir, au matin, le 22e régiment de
chasseurs de Morlàas, et l'enverra sur la route de Pau à Aire ;
arrivé là, celui-ci fera reconnaître la direction d'Arzacq, par
Thèze, et marchera lui-même vers Aire pour s'établir sur le
plateau du Tourniquet (nord-ouest de Claracq) et pousser vers Garlin.
Le général P. Soult laissera un régiment de cavalerie - au
lieutenant-général Clausel et suivra, avec les deux autres, le
mouvement de ce général, tout en détachant des partis vers la
route d'Aire pour faciliter la mission du 22" chasseurs (colonel
Desfossé).
La brigade de cavalerie Berton se portera sur Viella; elle
poussera son avant-garde sur la route d'Aire et enverra reconnaître
jusqu'à Riscle, Saint-Mont et Corneillan, sur l'Adour, pour avoir
des nouvelles au delà du fleuve.
Le 13e régiment de chasseurs (colonel Poiret), en observation
dans la vallée de l'Adour, en avant de Plaisance, s'avancera vers
Barcelonne sans se compromettre, mais en conservant rigoureusement le
contact. Il fera éclairer la direction de Nogaro et se reliera avec
le général Berton. Au cas où il serait refoulé, il se replierait
dans la direction de Maubourguet, tout en continuant à couvrir la
droite de l'armée.
Clausel formera l'avant-garde avec les divisions Villatte et
Harispe. Elles seront rendues de très bonne heure en avant de
Lembeye pour pouvoir se mettre en mouvement aussitôt l'arrivée des
divisions de Reille, marcher alors sur Conchez et prendre position en
avant de ce point. Là, Clausel gardera la grande route d'Aire et se
reliera avec le corps de cavalerie de Berton, posté sur les hauteurs
de Viella ; il devra en outre éclairer fortement les directions de
Garlin et la route d'Aire à Pau. Une compagnie de sapeurs est mise à
sa disposition (capitaine Marcelle), par le colonel Michaux, pour
réparer les ponts et les passages (voitures bouvières, chargées de
planches et de madriers).
Reille dirigera ses deux divisions (Taupin et Rouget), au matin,
sur Lembeye, d'où elles suivront le mouvement, sur Conchez, des
divisions de Clausel et de la cavalerie restante de Pierre Soult.
Deux compagnies du génie (une de sapeurs, une de mineurs), sous le
commandement du major Vainssat, marcheront en tête des divisions de
Reille pour achever les travaux laissés incomplets par la compagnie
qui accompagne l'avant-garde (voitures bouvières chargées d'outils,
planches et madriers)
D'Erlon partira au point du jour avec. les divisions Fririon et
d'Armagnac, gagnera Lembeye par Maubourguet et suivra le mouvement de
Reille sur Conchez.
« Le parc d'artillerie se rendra demain au soir à Vic-de-Bigorre
et se tiendra prêt à suivre le mouvement de l'armée. Le colonel
Bruyer pourra faire prendre du fourrage pour quatre jours à Tarbes :
il enverra à ce sujet des voitures bouvières.
» Le quartier général de l'armée sera établi, demain, à
Conchez.
» Les changements qui doivent avoir lieu, en vertu du dernier
ordre, pour former les batteries attachées aux divisions,
s'opéreront demain à leur passage à Lembeye. Le général Tirlet
et les généraux commandant les divisions auront soin que la marche
des troupes n'en soit pas retardée et que, dans la journée, tous
ces changements soient terminés. »
Le 13, l'armée exécutait son mouvement en avant. Clausel
échelonnait ses divisions sur l'éperon de Diusse jusqu'à Portet,
où il établissait « un avant-poste »
(Soult à guerre ; 'Couchez, 13 mars). Reille atteignait Conchez à
cinq heures du soir, en soutien de Clausel ; d'Erlon arrivait à
Cadillon (sud de Conchez).
La brigade de cavalerie légère du général Berton, venant de
Madiran, éclairait l'armée, en avant de sa droite, dans la
direction de Viella, avec deux régiments. Le 10e chasseurs, arrivant
sur le Saget et trouvant le pont rompu, tentait le passage du
ruisseau à un gué marécageux à peu de distance. Campbell, avec un
escadron portugais, repoussait la pointe ; mais Berton gagnait la
hauteur avec le régiment, atteignait le plateau et chargeait avec
succès les cavaliers ennemis, bousculés dans un étroit chemin
conduisant à la route d'Aire ; il leur infligeait quelques pertes et
capturait 40 cavaliers.
Un troisième régiment de cavalerie, le 13e chasseurs, gardait la
vallée de l'Adour et la surveillait en avant de Plaisance. Dès le
matin ses postes d'observation, au delà de Tasque, étaient attaqués
et refoulés ; mais le colonel Poiré se maintenait en avant de
Plaisance.
A notre gauche, P. Soult, avec trois régiments de cavalerie,
suivait la longue arête située entre le Lées et le gros Lées, se
dirigeant vers Castetpugon. Il allait atteindre Mascaraas, sur ce
contrefort, et le château du Sault, sur l'éperon qui lui est
parallèle, après avoir repoussé les postes de cavalerie du général
Fane dans une escarmouche heureuse où il avait pris deux officiers ;
mais il était arrêté par l'arrivée de forces supérieures.
(Conchez, 13 mars). -- « ...L'ennemi montre des forces sur les
hauteurs de Castetpugon et de Moncla. Les gens du pays disent qu'il
en a aussi à Garlin et depuis cette ville jusqu'à Aire, où se
trouve le quartier général de Wellington. Il a aussi des troupes
engagées dans la vallée de l'Adour jusqu'à Tasque. Enfin tous les
rapports disent qu'il a dirigé une forte colonne sur Bordeaux.
»... J'espère que mes mouvements le forceront à ramener sur ce
théâtre les troupes qui se sont engagées vers la basse Garonne. Il
est possible que, dans la nuit, il concentre son armée ; car
aujourd'hui elle est disséminée. Demain, au point du jour, je ferai
recon- naître dans ses positions et je le ferai attaquer sur celles
où je croirai obtenir le plus d'avantages. » (A. G.)
(Conchez 15 mars, 5 heures du matin). -- ...« L'ennemi occupait
(le 13) le contrefort de Mascaraas, Castetpugon et Moncla, ainsi que
la position de Lasserre (2 km. 500 à l'ouest de Yiella), et
plusieurs autres points entre le Lées et l'Adour. Le 13 au soir, il
porta un corps de 10.000 hommes d'infanterie sur le plateau de
Projan... » (partie nord du même contrefort).
Hill, établi au nord de Garlin en arrière du gros Lées, avait
en effet pass é ce ruisseau vers la fin de la journée, et il avait
pris position sur le plateau de Projan pour recueillir ses postes et
pour reconnaître le mouvement offensif des Français, qui menaçait
directement Aire. A la nuit, il repassait ce cours d'eau et il
s'établissait sur le plateau entre Garlin et Aire ne laissant que
des détachements de couverture au delà du Lées.
Wellington, dans la pensée que Soult n'avait été .rendu si
entreprenant que par l'arrivée de renforts importants, se décidait
à rester sur la défensive jusqu'à l'arrivée des forces qu'il
attendait. Il portait, en atten.dant, les divisions Picton et Clinton
à Aire et au sud pour se relier avec Hill, au nord de Garlin. Il
laissait, sur la rive droite, la division légère d'Alten avec une
brigade de cavalerie, qui repoussait le 13e régiment de chasseurs à
cheval que nous avions laissé dans la vallée de l' Adour. En avant
de son front, le gros Lées constituait un sérieux obstacle,
difficile à forcer. La brigade de cavalerie de Fane, revenue de Pau
depuis le 10, couvrait sa droite, vers le sud, jusqu'à Boeilho ,(2
kilomètres nord de Claracq).
Le 14 au matin, Soult attaquait les détachements -que Hill avait,
en repassant ce cours d'eau, laissés la veille sur le gros Lées. A
10 heures du matin, d'Erlon se mettait en marche, par
Saint-Jean-Poudge, sur Mas,caraas et Castetpugon. Il avait ordre
d'occuper Garlin si l'ennemi avait évacué ce point. A sa gauche, le
général P. Soult avançait, avec sa cavalerie, sur le Tourniquet et
la route d'Aire. Clausel partait à 10 h. 1/2, se dirigeant aussi sur
Castetpugon pour appuyer d'Erlon; il devait avancer jusqu'à la
pointe nord du contrefort de Projan, afin de faire tomber la position
de Garlin, en menaçant de passer par Segos. Tous deux, après avoir
.enlevé Castetpugon, avaient mission d'attaquer l'ennemi à Garlin
ou de déborder sa position en prolongeant leur droite vers le nord
sur la route d'Aire. Reille formait ses divisions en réserve sur le
plateau en arrière ,de Diusse, sur les positions que Clausel venait
de quitter : il devait garder le plateau de Portet. La cavalerie de
Berton éclairait l'aile droite et envoyait des reconnaissances à
Riscle, Saint-Mont, Corneillan et sur la route d'Aire. Le 13e
chasseurs à cheval continuait à couvrir la vallée de l'Adour en
avant de Plaisance (ordre de mouvement; Conchez, 14 mars). Le
maréchal se contentait de refouler les avant-postes de l'ennemi il
consacrait cette journée à reconnaître lui-même les positions des
alliés ; il faisait aussi rétablir les passages sur les ruisseaux
en avant de ses colonnes.
(Conchez, 15 mars, 5 heures matin.) -- « ...Hier au matin (14),
je pris mes dispositions pour attaquer l'ennemi; mais, à l'approche
de mes colonnes, ses troupes (postes avancés) se replièrent en
tiraillant sur le grand plateau, traversé par la route d'Aire à
Pau, où elles joignirent le restant de l'armée, qui était en
position, appuyant sa droite à Garlin et sa gauche se prolongeant
jusqu'à Aire. Tout ce qui était entre la grande route de Viella et
l'Adour s'est, en même temps, replié dans la direction d'Aire. Les
mouvements de la journée et le temps que j'ai dû employer à
reconnaître la nouvelle position de l'ennemi m'ont empêché de
pousser hier plus avant mon attaque; je suis rentré fort tard et je
retourne à l'instant même sur le plateau de Castetpugon, entre les
deux Lées, où j'ai laissé en position les divisions de Clausel et
d'Erlon. Celles de Reille sont établies sur le plateau de Portet
(entre le Lées et le Laris). Les renseignements que j'ai reçus des
habitants et ce que j'ai moi-même observé me persuadent que
l'ennemi est disposé à recevoir la bataille sur le plateau entre
Garlin et Aire, où il a 40.000 hommes réunis, avec beaucoup de
canons. Cette position me paraît trop forte pour l'attaquer de front
: je ferai en sorte, par mes mouvements, d'en détacher l'ennemi,
afin de pouvoir agir contre lui avec plus d'avantages.
» ...J'espère que mes mouvements forceront les ennemis à
ramener vers les Pyrénées une partie des troupes qu'ils ont
engagées vers la basse Garonne. » (A. G.)
Neuf Mois de Campagnes à la suite du Maréchal Soult - Lt Colonel J-B. DUMAS - Paris - Edit Charles-Lavauzelle
Source: Bnf
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